Pendant plus de trente ans, Anne SPOERRY, petite sœur de François SPOERRY, a sillonné le Kénia à bord de son avion Zoulou Tango pour apporter secours et assistance à des populations locales parfois très isolées...
Anne SPOERRY n'a pas survécu à son frère... A 81 ans son destin extraordinaire a prit fin, 3 semaines après la disparition de son frère...
Il nous reste le souvenir d'une incroyable petite femme, toujours très vive ,qui venait aussi souvent qu'elle le pouvait à Port Grimaud...
Nous vous recommandons vivement de lire son livre "On m'appelle Mama Daktari" (parue chez Jclattès), témoignage émouvant sur sa vie passionnante au service de l'aide humanitaire..
Son livre débute ainsi:
" - Wilson, de Alpha Zoulou Tango. Autorisation de rouler ?
- Zoulou Tango, autorisé. Piste 14 en service. Bonjour docteur Spoerry. Rappelez au point d'attente.
Lundi, 10 heures du matin sur Wilson Airport, l'aérodrome réservé à l'aviation légère, à la sortie sud de Nairobi. Comme toutes les cinq semaines, je m'apprête à décoller vers le district de Marsabit, près de la frontière nord du Kenya, aux confins de l'Éthiopie.
Ma tâche est la même depuis trente ans: «Délivrer des soins de base curatifs et préventifs à des stations de santé éloignées. Procurer un soutien régulier et une supervision aux agents de santé de ces stations.» Ce sont les termes laconiques du programme officiel. La réalité est un peu plus compliquée.
Depuis 1964, je suis médecin volant au service de l'AMREF - African Médical and Research Foundation -, une organisation non gouvernementale financée par des aides internationales.
Je suis née en 1918, et mon avion aura bientôt vingt ans."
En 1978, François SPOERRY, pour soutenir l’œuvre de sa sœur, fonda le bureau Amref France faisant parti du réseau international de l’ AMREF, association pour la Médecine et la Recherche en Afrique, non gouvernementale, indépendante, sans but lucratif.
ANNE SPOERRY, East African Flying Doctor
Anne Spoerry est née le 13 mai 1918 à Cannes, d'une famille aisée dont les souches sont à Fischenthal et Maennendorf, dans le canton de Zurich en Suisse, et d'un père né à Mulhouse. C'est une enfance heureuse pour elle, son frère François, et ses deux sœurs.
Anne rapidement se décide à se lancer dans la médecine, entre à la Faculté des Sciences en 1937, et partage un appartement avec son frère à Paris jusqu'aux mauvaise nouvelles de Munich.
C'est dans une villa nommée Pardigon, construite par son père sur la Baie de Cavalière (entre St. Tropez et Toulon), que la vie d'Anne bascule à la fin de l’été 1939. Un ami de la famille, anglais et ancien pilote de la R.A.F en 14-18, court depuis la plage : "C'est la guerre". Quelques mois plus tard François appelle sa sœur à Paris ; sous l'incroyable puissance allemande il est à 50 kilomètres d'elle et se prépare à passer la Loire : "C'est fini, prends garde, notre pays n'existe plus". Immense malaise pour Anne lorsque, au travers de la fumée qui recouvre Paris, elle aperçoit le drapeau tricolore qui flotte encore sur les Invalides. Les Français courent sur les routes avec leurs petites valises en carton.
La vie continue sous l'occupation et, tandis que François descend à Marseille pour finir ses études d'architecte, Anne travaille dans un hôpital à Paris. Profitant de l'aide de son "ausweiz" et de sa bicyclette elle passe la ligne de démarcation, en février 1941 à Montceau Les Mines, pour visiter ses parents en zone libre. Neuf mois plus tard elle recommence pour les fêtes de Noël mais se fait prendre et passe 15 jours en prison à Chalon-sur-Saône.
En novembre 1942, Anne est en quatrième année de médecine et reçoit un message de François demandant de voyager vers le sud à nouveau. Elle traverse la ligne à St. Michel de Montaigne, près de Bordeaux. Ayant passé Noël à La Bastide puis voyagé à Aix-en-Provence, où son père avait acheté l’Hôtel de Cabres, elle découvre que son frère est fermement impliqué dans la résistance.
"Nous avons une demande de Londres. Peux tu ouvrir un nouveau réseau à Paris ?"
De retour, Anne se plonge dans la recherche d’hébergements sûrs pour cacher des gens, l'obtention de faux papiers, la fabrication de tampons et de cartes de rationnement. Et, bien sûr, de nouvelles traversées de la ligne de démarcation. Elle cache un Anglais, Roger, dans son appartement. Peu de temps après, Marsac, le chef du réseau, tombe. Anne réussit à prévenir son frère qui part vers Annecy prévenir Odette (plus tard arrêtée et déportée à Ravensbruk). Les Allemands envahissent la France de Vichy et, les mouvements étant alors plus faciles, le père d'Anne arrive à Paris, suivi peu après par un message expliquant l'arrestation de François. La tentative de fuite vers la Suisse échoue, car Anne de passage à l’hôpital y trouve la Gestapo et est jetée dans une Traction Avant. Ce seront neuf mois à la Prison de Fresnes où elle reçoit des colis et des journaux en langue allemande, de ses parents, mais également de son frère qui est dans la même prison.
Ces vingt dernières années Anne ne vous parlera pas de cette période de sa vie. C'est l'humiliation suivie par des malheurs. "Tiens, prend ce bouquin si ca t’intéresse, c’était comme ca". Depuis dix ans que je pilote avec elle en Afrique de l'Est elle me donne, par-ci, par la, quand même quelques détails.
Dans un grand froid, en janvier 1944, elle est déportée vers l’Allemagne, destination finale: Ravensbruck. Son frère est envoyé à Dachau et Neue Breme.
Anne survivra aux appels à 4 heures du matin dans un froid effroyable, aux travaux forcés dans les usines. Block 26. Puis Block 13. Médecin, elle aide ses compagnes. Rapidement elle perd ses forces. En mai elle part pour son premier "Transport" à Zwodau. Anne n'a pratiquement plus de forces mais elle est toujours médecin du groupe. Juillet: retour à Ravensbruck où elle se retrouve au Block 10, sous Carmen Maury, à s'occuper des cas de tuberculose.
24/12/44 : il y a un arbre de Noël, avec guirlandes, au milieu du camp...
Puis la rumeur arrive... et ils sont là, devant les portes. La Croix Rouge...
Le cauchemar est à moitié fini. Elle découvre que François, aussi, s'en est sorti.
Les événements de ces dernières années poussent Anne Spore à quitter cette Europe ravagée, et tout ce qu'elle a pu apporter comme souffrances.
;Les lectures des récits d'Henri de Monfreid sont formidables. Un ami de son père (Anto Besse) fait du commerce maritime sur la Mer Rouge. Et voilà ! C'est l'appel de l'Afrique. De l'Ethiopie en particulier. Mais l'Empereur Haile Selassie et son gouvernement ne voient pas d'un bon œil une femme seule comme médecin. Anne se base au Yémen et devient médecin des femmes de l’hôpital d'Aden. Elle cherche à passer en Ethiopie, et donc accepte d'accompagner des bateaux de pèlerins Somalis qui traversent pour le "Haj".
Là, on peut avoir une petite idée de la force de caractère d'Anne qui se retrouve seule, femme, tout juste 30 ans, sur une barcasse avec 6000 hommes Somalis qui s'entre-attaquent à coups de couteau pendant des jours. Anne recoud ces gars à la chaîne... "C’était du boulot ! Mais plutôt intéressant !"
En 1949 elle accepte une invitation et visite le Kenya. Coup de foudre. Elle s'installe dans le protectorat anglais en 1950. A nouveau ce sont des difficultés car une femme seule n'est pas l’idée que se font les autorités coloniales d'un poste en brousse.
Anne achète une grande ferme a Ol Kalou, entre le lac Naivasha et Thomson Falls. Elle y cultive le pyrhètre. Bien sûr la médecine est toujours omniprésente dans son petit cabinet médical sur la ferme. Anne est fermière - médecin.
Le nationalisme kenyan s’étend et ce sont les années "Mau Mau". Anne, le revolver 38 spécial à la ceinture en permanence, assiste ses voisins et ce sont nombre de voyages de nuit, au travers du couvre feu et dans sa Peugeot 203, pour traiter toutes sortes de choses.
1964, c'est l’accès du Kenya à l’indépendance, et l'obligation de vendre sa ferme. Anne est déprimée, mais entend l'appel de Jomo Kenyatta, le premier président de ce nouveau Kenya, qui invite les blancs à rester. Anne achète une petite ferme de 25 acres à Subukia, au nord de Nakuru.
La déprime, c'est quand même pas trop le style Spoerry. Anne, à 46 ans, décide d'apprendre à piloter. Dans cette nouvelle vallée un instructeur vient donc régulièrement depuis Nairobi a bord d'un Piper Pacer et plusieurs fermiers blancs se joignent pour apprendre.
Petit retour en arrière:
Pendant la deuxième guerre il y avait en Angleterre un chirurgien plastique qui s'est élevé au rang des "Maestro" de la médecine de l’époque. Archibald McIndoe était en charge de réparer les effroyables dégâts causés aux pilotes de chasse de la RAF. Cet homme a la charge des "Guinea Pigs", un groupe de pilotes détruits à vie. Il accomplit des miracles, physiques et moraux, pendant toute la guerre. En 1946 il est en voyage au pied du Kilimandjaro et y achète une ferme, en partenariat avec un de ses ex-patients. Deux ans plus tard il est de retour dans cette ferme avec deux des jeunes stagiaires chirurgiens plastiques, Michael Wood (anglais) et Tom Rees (américain). Ces trois hommes sont en vacances, mais devant les souffrances qu'ils constatent, ne peuvent s’empêcher d’opérer à tour de bras, essayant de palier tous ces désastres, avec de vraiment petits moyens en brousse. Petit à petit, au gré des soirées et discussions naît l’idée des médecins volants. Archie McIndoe et Tom Rees rentrent en Europe et aux USA, mais Michael Wood s'installe à Nairobi. Avec le support de ses deux amis il va imaginer et construire, pierre par pierre, les "East African Flying Doctor Service". Il apprend d'abord à piloter, achète un Piper Pacer, et par la suite réalise qu'il est de plus en plus en vol. Pendant toutes les années 50 la chose se développe.
Au milieu des années 60 les Médecins Volants commencent à vraiment se développer avec l’arrivée d'un pilote professionnel à plein temps en 1960.
En 1964 Michael Wood entend parler d'une femme médecin qui pilote au nord de Nakuru.
Anne achète un Cherokee 235. Pour étrenner ça, avec un peu plus de 50 heures de vol dans son carnet, et puisqu'à l’été 1965 c'est le moment de rentrer en vacances, Anne rentre en France, avec deux amis,... en Cherokee... Puis c'est l'invitation de Michael Wood de rejoindre les Médecins Volants...
Acceptée ! Plus tard un Cherokee 6 (5Y-AJE). En 1975 elle achète un nouveau Cherokee Lance PA32R. C'est 5Y-AZT qui l'accompagnera jusqu’à Lamu, le 6 février 1999.
Anne est devenue partie intégrante des Flying Doctors. C'est un pilier incontournable. Pendant 35 ans, inlassablement, elle surmontera tous les obstacles, en douceur ou à grands coups de gueulantes (Anne était appelée par certains "Ma Spoerry") devenues célèbres (mais toujours aussi terrifiantes). Plus de 8000 heures de vol pour une pilote privée dans des endroits et des pistes que l'on peut, sans exagération, décrire comme... déplorables.
Il va falloir que j’arrête là ma description d'Anne Spoerry. En dix ans où j'ai eu la chance de la connaître, en ami et collègue, j'ai découvert un personnage étonnant, toujours à l'aise dans son pantalon en toile bleue, sa chemise d'aviateur, ses bottines rapiécées et sa casquette à visière (si vous lui posiez la question: la réponse "Tu veux essayer de faire les cliniques dans le Nord en tailleur Chanel et talons aiguilles ???" Son gros couteau à cran d’arrêt (instrument indispensable à mille choses) dans la poche gauche, un mini pistolet dans la poche droite (« Ma Spoerry »... n'oubliez pas...)
Je vous laisse donc découvrir un coeur-docteur-aviateur-électricien-facteur-dépanneur sur Envoyé Spécial (accrochez vos ceintures pour un arrachage de dent "de derrière les fagots"), ça sera beaucoup plus vivant que mon message. Si vous voulez ensuite plus de détails cherchez le livre "On m'appelle Mama Daktari" par Anne Spoerry (Editions Jean-Claude Lattes, 1994), qui est un livre simple, comme Anne, et vous montrera une vision de 50 ans d'Afrique.
Il est bon de noter que son frère François Spoerry est décédé le 11 janvier 1999 et que Anne, qui lui vouait une admiration sans bornes (il était le seul à pouvoir lui dire "ANNE !!! ON SE CALME!!!), et qui nous semblait à tous ici en Afrique de l'Est indestructible, a tout juste réussi à lui survivre trois semaines...
Bon, ben moi j'ai écrit ce message le plus vite possible ce soir (c'est mon excuse d'aujourd'hui pour les fautes :-))) ), car je m'en vais pour une semaine de vacances à Lamu. Eh oui ! C'est aussi là qu'Anne est enterrée, et à part le farniente, j'irai voir Anne tous les jours, car elle a été une source d'inspiration pour moi pendant dix ans, et le restera pour un bon bout de temps à venir. Et elle me manque.
Benoît Wangermez
Février 1999
benoit@net2000ke.com
18 Février 99 - TELEVISION
Zoom
MAMA DAKTARI
" Envoyé spécial " Afrique, France 2, 20 h 50.
L'équipe de l'émission enregistrée, ce soir, à Lamu, au Kenya, met en lumière le destin exceptionnel d'une femme française qui vient de décéder à plus de quatre-vingts ans. Anne Spoery, alias Mama Daktari, avait choisi de porter la médecine dans les tribus les plus reculées d'Afrique de l'Est, aux commandes de son propre avion.
Au début des années quarante, sous l'occupation nazie, Anne Spoerry est étudiante en médecine à Paris. En 1943, elle est arrêtée pour faits de résistance et déportée au camp de concentration pour femmes de Ravensbrück, en Allemagne. Elle fait partie des 10.000 femmes sur les 150.000 déportées qui ont survécu à l'extermination dans ce camp. En 1948, avec son diplôme de médecine en poche et une caméra cinéma, elle rejoint Aden, au Yémen. Là, elle prend soin des princesses dans les harems et des pèlerins en route pour La Mecque. Mais, aventurière, elle se remet en route et, sur les traces d'Henry de Monfreid, gagne l'Ethiopie avant de s'installer finalement au Kenya comme médecin de campagne et fermière.
Expropriée au moment de l'indépendance du Kenya en 1964, elle apprend à piloter, achète un avion et rejoint un groupe de médecins volontaires qui, sept ans auparavant, ont créé l'AMREF. Leur but : aller soigner les gens dans les coins de brousse les plus reculés. La première équipe des docteurs volants est née. Cette aventure humaine de quelques pionniers est devenue la plus importante organisation sanitaire privée africaine à but non lucratif.
Le premier objectif des médecins de l'AMREF (Fondation pour la médecine et la recherche en Afrique), depuis sa création en 1957, a été de supprimer la distance entre eux et les malades en pratiquant la chirurgie lourde en brousse, où seuls 10 % à 15 % des cas nécessitant une chirurgie sont traités. Pour pallier ce manque, des " safaris chirurgicaux " ont été mis en place, voyages de trois jours au cours desquels des médecins spécialistes sont déposés par l'avion dans des villes où n'existe pas de service de chirurgie. En moins de 72 heures, chaque médecin consulte une moyenne de 40 personnes et fait une vingtaine d'opérations complexes. Pour la seule année 1997 par exemple, ces médecins ont pratiqué quelque 1.181 interventions...